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Institut de formation doctorale
Collège doctoral Sorbonne Université

Delphine Chadefaux, docteur en acoustique

Delphine Chadefaux est Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche à l'Université Pierre et Marie Curie. Ses activités de recherche se déroulent au sein de l'équipe Lutheries-Acoustique-Musique de l'Institut Jean Le Rond d'Alembert. Elle y a également préparé son doctorat sous la direction de Jean-Loïc Le Carrou, Benoît Fabre et Laurent Daudet. Cette thèse, intitulée Interaction Musicien/Instrument : Le Cas de la Harpe de Concert a été soutenue le 26 octobre 2012.

 

Interaction Musicien/Instrument : Le Cas de la Harpe de Concert

Equipe Lutheries-Acoustique-Musique, Institut Jean Le Rond d'Alembert – UMR CNRS 7190

Université Pierre et Marie Curie, Ministère de la Culture et de la Communication


Depuis maintenant une dizaine d'années, des recherches sont menées en France sur l'acoustique de la harpe de concert. Ces recherches, impulsées par Jakez Francois PDG des harpes Camac, s'intéressent aussi bien à l'instrument et à son fonctionnement qu'à l'instrumentiste et ses particularités gestuelles. Les études du fonctionnement de la harpe ont pour but d'améliorer notre connaissance de l'instrument mais restent limitées si l'instrumentiste, élément apportant l'énergie au système et essentiel en terme musical, n'est pas présent. C'est donc tout naturellement que nous nous sommes intéressés à la manière dont le musicien pratique l'instrument. Cette étude a fait l'objet d'un travail de thèse qui s'est terminé en octobre 2012. Nous nous proposons, dans le cadre de cet article, d'en exposer les principaux traits.


Afin de jouer une note, le harpiste pince une corde de l'instrument. Au cours de cette action, a priori très simple, se déroulent une série d’événements plus ou moins complexes. Ceux-ci tendent à modifier l'état de la corde au repos avant de la relâcher, la laissant alors vibrer librement, et produisant ainsi la note. Ainsi, lors de la production d'un son, le harpiste ne peut influer que sur cette période d'interaction entre le doigt et la corde. Le son est, pour ainsi dire, totalement défini à l'instant où la corde quitte le doigt. La « signature sonore » de chaque harpiste réside donc dans ces quelques instants de pincement.


Dans le but de mettre en évidence les paramètres mécaniques sous-jacents à cette notion de « signature sonore », une étude expérimentale a été effectuée auprès de dix harpistes dans un contexte de jeu le plus réaliste possible. Les musiciens ont été invités à jouer des séquences d'arpèges et d'accords alors que nous filmions à l'aide d'une caméra rapide les mouvements de la corde et du doigt pendant le pincement. Les résultats [1] de cette étude ont confirmé une notion connue dans l'analyse des mouvements humains : le geste expert est extrêmement répétable et spécifique à la personne le réalisant. Nous avons pu observer autant de motifs que de participants, faisant du geste du pincement une véritable signature du musicien. Aussi, ces gestes définissent un état bien particulier de la corde avant d'être relâchée, lui aussi étroitement lié au harpiste. Il s'agit d'une combinaison complexe de déformation de la corde vis-à-vis de son état initial, mais aussi de vitesse et de rotation. Nous avons ainsi mis en évidence les paramètres mécaniques sous-jacents au pincement d'une corde de harpe que le musicien expert contrôle finement afin de produire une note dont les attributs sonores lui sont propres.

Ces résultats ont donné lieu à deux modélisations. L'une est de nature mécanique, dans la perspective d'améliorer l'initialisation et le contrôle des synthèses sonores d'instruments à cordes pincées [2]. L'autre consiste en la conception d'un doigt robotisé, en collaboration avec l'Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique de l'UPMC [3]. Il s'agira à terme d'un outil d'une grande utilité dans l'étude des instruments dans un contexte d'excitation paramétrable, parfaitement répétable, mais aussi et surtout réaliste.


D'autre part, jouer de la harpe ne peut se résumer à mettre en vibration des cordes. En effet, plusieurs couches gestuelles se superposent dans l'exécution d'une pièce musicale. Certes, l'instrumentiste devra jouer les bonnes notes aux moments voulus, mais il cherchera aussi à transmettre une intention musicale aux spectateurs ainsi qu'à optimiser sa posture afin d'éviter toute blessure. Notamment, l'étude précédemment exposée a indiqué qu'une force d'environ 15 N, soit 1.5 kg, est appliquée au bout du doigt pendant le pincement d'une corde. La gestion de tels efforts ne peut être effectuée uniquement au niveau de la main. Une seconde étude expérimentale a été menée dans le but d'étudier les stratégies gestuelles inhérentes à la pratique de la harpe [4]. Il s'agit de mesurer les mouvements de trois harpistes lors de l'exécution de la Danse Profane de Claude Debussy. Pour ce faire, nous avons utilisé un système typiquement utilisé dans l'industrie du film ou du jeu vidéo, consistant à capturer au cours du temps la position dans  l'espace de marqueurs disposés sur le corps du musicien ainsi que sur la harpe. L'analyse des mouvements en relation avec le contexte musical a permis de montrer que l'épaule est la région générant le plus d'efforts musculaires afin de contrôler le mouvement du bras.  En revanche, la main exécute à la fois les gestes dits « producteurs de son », c’est-à-dire la mise en vibration et l'étouffement des cordes, mais transmet aussi une part de l'intention musicale du musicien.

 

 

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier l'ensemble des harpistes ayant participé à ces travaux : Marie Denizot, Pierrine Didier, Jackez Francois, Eveline Grégoire-Rousseau, Marie Klein, Sandie Le Conte, Camille Levecque, Caroline Lieby-Muller, Antoine Malette-Chénier, Roxane Martin, Magali Monod-Cotte, Ghislaine Petitvolta, Blandine Pigaglio, Maëlle Rochut, Mary Elizabeth Sutherland, Raphaëlle Villa, Coralie Vincent.

 

Pour aller plus loin

F. Gautier, JL Le Carrou et V Doutaut, Faire vibrer l'air avec une corde, Pour la Science n°373, Belin, 2008

JL Le Carrou, Vibro-acoustique de la harpe de concert, Musique & Technique n°3, ITEMM, 2008.

 

Références

[1] D. Chadefaux, J-L. Le Carrou, B. Fabre et L. Daudet. Experimentally based description of harp plucking. Journal of the Acoustical Society of America, 131(1), pp. 844-855 (2012).

[2]  D. Chadefaux, J-L. Le Carrou, B. Fabre, Harp plucking modeling, Journal of the Acoustical Society of America, 133 (4), (2013).

[3]  D. Chadefaux, J-L. Le Carrou, M-A. Vitrani, S. Billout, L. Quartier, Harp plucking robotic finger, IEEE International Conference on Intelligent Robots and Systems, Vilamoura, Algarve, Portugal (2012).

[4]  D. Chadefaux, M.M. Wanderley, J-L. Le Carrou, B. Fabre, L. Daudet, Experimental study of gestural strategies in a harp performance, Acta Acustica united with Acustica.

 

Sujet intégral

 

Cet article a également été publié sur la page Têtes chercheuses de l'Huffingtonpost 

16/11/16

Traductions :